Ce travail c'est un peu l'effet papillon, c'est mon premier travail personnel construit avec la photo à la base du projet, il est parti de rien et il a fini par me confronter à tellement de découvertes sur les autres et moi-même. 
J'y ai découvert des personnes incroyables, que mon amour des représentations érotiques ne s'arrêtaient pas au dessin et à la peinture, l'envie de parler du sujet de la sexualité, du genre, de la sexualisation des images, du fétichisme et de sa représentation. 
Ceci n'est en fait que la première étape d'une approche toujours en cours, qui colore presque chaque première rencontre avec mes modèles.
Un jour j'ai rencontré B. au comptoir d'un love shop vieillot, elle était ma collègue, on devait faire tourner cette boutique infâme à trois vendeuses à temps partiel en cdd non renouvelable après épuisement de nos aides à l'embauche. Le genre de job qu'on accepte vraiment  par curiosité pour le genre humain. C'est dans cette ambiance qu'on s'est rencontrées et que nous sommes devenues amies.
Des années après cette expérience aussi brève qu'instructive, on rigolait à l'évocation des décorations à haute valeur ajoutée de l'endroit en question. On a aussi abordé le sujet des représentations fetish dans les milieux spécialisés de manière un peu moqueuse;  il faut bien avouer que ce n'est pas toujours du meilleur goût.
elle m'a lancé en rigolant " Je parie qu'on fait la même chose et mieux sans aucun moyen! " 
J'ai ri aussi et j'ai répondu "chiche! Il faut trouver des gens", en me disant que les volontaires pour faire ce genre d'images n'allait pas se bousculer. 
Elle m'a répondu " Moi, je pose pour toi, et je suis sûre que N. aussi"
Mes yeux se sont légèrement écarquillés et la soirée à continuer. Le surlendemain, j'avais 2 modèles prêts à travailler avec moi sur des images érotiques, je me suis sentie comme un âne mais avec une envie de faire un truc chouette, juste parce que l'occasion se présentait, que je savais que ce serait intéressant et qu'il y aurait, en fait, beaucoup à dire, à montrer.
J'ai réfléchis. Comme j'ai une approche de brute; j'ai repensé à ce love shop, à cette ambiance dépassée, vulgaire, à ces packaging de lingerie avec des photos d'illustrations hors compétition et cette moquette qui sentait la poussière. La résille s'est imposée comme matière symbole de cette érotisme aussi poussiéreux que dérangeant, pourtant, ça se vend très bien, plein de personne en on quand même roulée en boule au fond d'un tiroir, parce que cette matière possède un je-ne-sais-quoi d'importable mais stimulant parce que rapporté à tout un univers de provocation, de luxure, de perversion, que la matière à elle seule arrive à symboliser une sexualité assumée et non reproductive. Peu de tissu sont chargés d'une symbolique aussi forte, identifiée et connotée au premier regard. En plus elle est genrée à l'extrême du féminin. Cela ne pouvait être qu'intéressant. 
J'avais mon idée de départ, ça c'était bien brut, vulgaire, polarisé, souvent laid et de mauvais goût, ça plantait le décor sans aucune ambiguïté. C'était le moment d'être inspirée. Le choix de la photo comme technique première me paraissait évident parce que je voulais faire beaucoup d'images à la base pour pouvoir travailler dessus de différentes manières. Il ne restait plus qu'à compléter l'équipe de volontaires et organiser les shootings. 
Travailler à changer la représentation habituelle, faire un peu réfléchir, parce que l'érotisme gratuit est souvent ennuyeux, ça passait pour moi par la mixité de genre dans la représentation, ce sont donc 2 hommes qui ont rejoint l'équipe. 
Après, se sont suivi pas mal de discussions, sur quoi montrer, comment et pourquoi, mais nous nous sommes assez vite mis d'accord sur les limites de chacun, nos motivations, nos attentes. 
Les shootings se sont bien déroulés, c'était de très bons moments, d'échanges, de découvertes, d'authenticité, d'intelligence.

Puis évidement, j'ai montré certaines photos pour avoir des retours sur le ressenti des regardeurs, et il y avait celle-ci. C'est un "autoportrait" de groupe fait au retardateur; pour la composition que j'avais en tête, il me manquait une personne et j'étais sur place.  Puis sur le principe, je ne demande pas aux autres de faire une chose que je ne suis pas capable de faire moi-même et d'assumer.  Donc la question ne se posait pas, j'ai rejoint mes modèles pour faire la photo.
C'est là que ça a commencé à tourner vilain. Je précise qu'à ce moment-là les seules photos montrées étaient des représentations de femmes. Un pourcentage non négligeable de photographes masculins, ont, je ne sais pas comment l'expliquer, vu leur cerveau rétrécir de moitié, et développer un fantasme quasi obsessionnel sur mon orientation sexuelle en voyant cette image. Ce fût pénible mais je m'attendais  à des attaques de porcs libidineux, contrairement à la suite que j'ai vécu avec beaucoup de surprise et sidération.
Quand j'ai partagé les photos réalisées avec des hommes, j'ai reçu 3 types de messages que je n'avais absolument pas anticipés; des messages homophobes, alors que ces images ne parlent pas d'orientation sexuelle; des messages concernant l'aspect non naturel pour un homme de porter de la résille, c'est semble t-il une incitation aux comportements contre-nature, je ne sais toujours pas ce qu'ils voulaient dire et; carrément un message m'accusant d'avoir fait poser mes modèles masculins sous la contrainte, car aucun homme ne peux consentir librement à réaliser ce genre de photos. Ce délire à durer des semaines, tout le temps que ces images sont restées en ligne, mais cela a scellé mon envie de ne pas me limiter ou me censurer pour ma production personnelle. Même si j'ai fini par retirer les photos pour avoir la paix sur les réseaux.
Il m'a fallut un certain temps pour encaisser ce que certains spectateurs masculins, (avec je le déplore beaucoup de photographes sur leur temps libre, tout comme moi, dans le lot,) pouvaient percevoir de ces images et à quel point cela pouvait les déranger, mettre en cause leur virilité, leurs croyances. Ou au contraire exacerber leurs fantasmes et convictions personnelles à mon endroit. Cet épisode  m'a clairement appris que face au regard du spectateur, l'intention du créateur n'est rien comparée à ce que la personne va projeter dans l'image. 
Bref, c'était mon premier projet photo construit. Le pire c'est que j'ai décidé de continuer.

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