
Le 2 septembre, s'est ouvert le procès Pelicot. Une victime, Gisèle Pelicot et 51 accusés. Dominique Pelicot et les 50 hommes qu'il a contactés pour violer son épouse, droguée aux anxiolytiques, pendant qu'il filmait les agressions. Cela pendant une décennie.
C'est l'affaire hors normes qui fait le tour du monde, portée par les médias, réveillant les consciences et aussi les fantômes.
Je suis allée assister au procès, à la marche blanche à Mazan, parler aux personnes.
J'ai écrit mille mots sur ce que les faits m'inspirent, tous en vain. L'horreur et l'injustice sont indescriptibles à ce niveau.




J'ai été au procès le jour de la délibération pour savoir si la diffusion des vidéos des viols serait publique ou non.
Dans le tribunal, à attendre, il y a des femmes essentiellement, quelques hommes, certains venus soutenir leur compagne à l'évidence. Les discussions sont feutrées mais ouvertes et simples, sur l'affaire, le procès, le vécu, les raisons de la présence des unes et des autres. Les membres d'associations féministes chuchotent du déroulement des actions à Avignon. La tension reste là, malgré l'humanité de chacun.
Un peu avant midi, la décision est annoncée, les vidéos seront publiques.

Après la pause, les diffusions ont commencé avec la prise de parole des accusés, le temps semblait interminable. Plusieurs personnes sortent de la salle pendant l'après-midi, incapables de regarder les vidéos. Si j'ai trouvé les images choquantes, totalement immorales, violentes, vraiment insoutenables dans leur répétition et leur inspiration pornotypée, je ne m'attendais pas à découvrir des images propres, et je m'étais préparée mentalement.
Par contre la défense, les réponses des accusés, rien ne peut préparer à entendre des propos pareils. Un déballage de mauvaise foi, d'ignorance, de déni et d'explications d'un autre temps construits sur des valeurs perverses mais somme toute acceptées dans notre société.
Je sors de l’audience, je marche au hasard. Ma tête explose. Je viens de passer l'après-midi à regarder des vidéos de viols, en entendant les auteurs nier leur implication et la gravité des faits d'une manière tellement odieuse, égocentrée : inimaginable.
Je suis choquée par la défense bien plus que par les vidéos elles-mêmes. Je pose au passage que le doute sur ce qui a été filmé n'est pas permis. Après coup, rendre ces vidéos publiques était nécessaire.



Je trouve une église, je m'assieds et je pleure, incapable de penser. Le temps passe, je n'arrive toujours pas à réfléchir, je respire un peu. Je rentre préparer le lendemain, avec la certitude de ne pas retourner au tribunal ensuite. J'en ai vu et entendu suffisamment pour comprendre que cette affaire a beau être hors normes, elle est traitée comme une affaire de viol, avec toute l'injustice et le biais patriarcal que cela implique.
L'avancée ne viendra pas de là. Le dégoût submerge toute forme de réflexion.
Alors que Gisèle Pelicot est la victime « parfaite », elle n'est ni jeune, ni sexy, ni imprudente, sa vie intime est discrète, son intégration sociale irréprochable, c'est quand même elle qui doit justifier sa moralité. C'est elle qui doit démontrer qu'elle n'a pas de penchant exhibitionniste et qu'elle n'a jamais été d'accord avec les pratiques de son mari. C'est elle qui doit se défendre des attaques sur son implication et ses intentions, qui doit prouver qu'elle a été réellement violée et qu'à aucun moment elle n'a laissé penser qu'elle pourrait être consentante.
Je retiendrai aussi que le fantasme de violer une personne inconsciente, dans une prise de pouvoir totale, par une manœuvre aussi lâche que perverse qu'est la soumission chimique, est vraiment répandu; au vu de la zone géographique dans laquelle Dominique Pelicot a trouvé ses complices. Le fait que les femmes sont encore perçues comme existant à travers leur mari, sans capacité à décider pour elles-mêmes, cette pensée éculée est encore rampante dans les tréfonds de l'inconscient des uns et des autres.

Le samedi, je vais à Mazan. Le soleil et l'emplacement « au feu rouge » du début de la marche, finissent par avoir raison de mon état d'esprit de la veille. La lumière est éclatante et il fait chaud. Les personnes, les cavaliers et les médias arrivent tranquillement. Si on sent bien que la majorité des personnes présentes sont de la région, celles venues « d'ailleurs » se repèrent facilement et forment une minorité non négligeable. Les échanges sont faciles, l'ambiance détendue avec un je-ne-sais-quoi qui flotte dans l'air, entre dignité, malaise et connivence.
Nous avons marché jusqu'au centre d'équithérapie, puis écouté les histoires de victimes de violences sexuelles et intra familiales. C'est le seul moment où l'indignation et la colère ont été palpables quelques minutes face aux histoires individuelles au combien difficiles.





Le soir dans ma chambre, je regarde les images de l’événement sur les réseaux sociaux et les médias, sans reconnaître vraiment ce que j'ai vu. Je prends conscience du travail médiatique, de l'enjeu de perception pour la société, de la volonté de faire changer les choses.




Les violences faites aux femmes n'existent que parce que la société en tant que groupe le permet. Il ne s'agit pas de pointer un pays ou un système politique en particulier, l'organisation sociale repose sur un système d'asservissement, de domination sur la quasi-totalité de la planète. Les femmes bénéficient d'une position peu avantageuse dans ce système au même titre qu'un tas d'autres catégories de personnes. C'est le pourcentage de la population mondiale représenté par les femmes qui fait de ce groupe une exception et des violences subies par celles-ci un problème aussi vaste que protéiforme.
Quand j'écris ce texte, seulement quelques semaines se sont écoulées depuis mon retour de France, et les informations concernant les violences faites aux femmes partout dans le monde n'arrêtent pas de tomber.
En 6 semaines, j'ai vu passer dans les médias; une affaire de tir au mortier d'artifice par des hommes sur les participantes d'une soirée réservée aux femmes, les afghanes ne peuvent plus parler, les américaines tremblent pour leur santé reproductive pendant que des masculinistes pro Trump inondent les réseaux de "your body my choice". Et un tas d'autres pour lesquelles je ne me suis pas informée.

Oui, la honte doit changer de camp. Elle doit avant tout quitter les victimes, les familles et les débats publics. Les questions de viol, d'injustice, de violence, de domination doivent cesser d'être honteuses à l'intérieur de nous, de nos foyers, de nos conversations; pour pouvoir avancer collectivement vers quelque chose de plus juste pour tous.
Nous tous, nous sommes bien trop tentés de regarder ailleurs plutôt que de faire face aux conséquences d'une morale patriarcale dépassée, surtout quand elle concerne nos mœurs, ce qui se passe derrière nos façades, dans nos communautés. C'est une remise en question qui s'impose à nous-mêmes, à nos paradigmes, à nos éducations et à nos héritages. Le chemin vers la paix, le respect et la tolérance pour chacun est encore long.

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